Mirovα, Creating Sustainable Value - Avril 2025

Publié le 24/04/2025

Mars : en attente de la sentence

Qu’elles soient déjà instaurées ou en perspective, ce sont les hausses des tarifs douaniers qui ont « donné le la » sur les marchés en mars. Certaines matières premières, comme l’acier et l’aluminium, ou certains pays, comme le Canada et le Mexique, avaient déjà fait l’objet d’annonces ciblées, tandis que le reste du monde attendait avec angoisse le Liberation Day prévu par Donald Trump le 2 avril. Le stress engendré par cette politique tarifaire a entraîné tous les marchés mondiaux dans le rouge, notamment aux Etats-Unis, en baisse de l’ordre de -6% ou en Europe, en repli d’environ -4%1.

A ces inquiétudes se sont ajoutées des prises de profit, encouragées par les maigres progrès concernant le potentiel cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine.  Dans ce contexte les actifs européens ont néanmoins mieux résisté que les actifs américains. Ceci s’explique par les annonces du gouvernement allemand, qui prend le chemin de la relance avec un plan d’investissements de 500 milliards d’euros dans les infrastructures et de 400 milliards dans la défense sur 10 ans1. L’Europe profite également d’une légère amélioration des publications économiques et d’enquête, notamment les indices PMI2 en France et en Allemagne ou les enquêtes INSEE et IFO. 

Autre bonne nouvelle, l’inflation décélère toujours et se porte à 2,2 % pour l’inflation headline (globale) et 2% pour l’inflation core3, contre 2,3 % et 2,6% le mois précédent. La BCE a de nouveau abaissé son taux directeur de 25 points de base, à 2,5%1.

Aux Etats-Unis, la confiance continue de s’éroder et cela commence à se remarquer. Si l’emploi tient toujours, avec plus de 220 000 créations de postes sur le mois, les entreprises et les ménages s’inquiètent d’un retour des tensions inflationnistes car les coûts d’importation bien supérieurs viendront impacter négativement les marges et le pouvoir d’achat. Les anticipations d’inflation à horizon 5-10 ans révélées par l’indice de l’université du Michigan ont ainsi bondi à 4 % en mars, atteignant des niveaux qui n’avaient pas été vus depuis février 19931. Pour l’instant, la Réserve Fédérale4 semble pas modifier sa politique de taux, et évalue l’impact des tensions commerciales actuelles sur l’économie. Elle a tout de même réduit son quantitative tightening, se montrant donc légèrement plus accommodante.

Ce contexte a eu un impact baissier sur le marché du crédit, marqué par un élargissement des spreads5: un peu moins de 10 points de base d’écartement sur l’Investment Grade6, 50 bp sur le high yield7européen. Aux Etats-Unis, le taux à 10 ans est resté stable à 4,2 %, alors que celui du Bund allemand a pris 30 points de base, pour monter à 2,75 %1. Une hausse réalisée en à peine plus d’une journée, un événement qui survient de manière exceptionnelle. Les taux longs européens8 ont également progressé dans le sillage du Bund. Les taux courts sont quant à eux restés stables. Nous observons donc une accélération du mouvement de pentification des courbes, avec 70 points de base d’écart entre les taux à 10 et 2 ans à fin mars1.

Si la bourse chinoise n’a pas été épargnée par l’incertitude internationale, le pays a cependant profité de publications macro correctes. Notons ainsi une croissance de la production industrielle de 6% et des ventes au détail de 4 % en glissement annuel sur les données du mois de mars, en légère accélération depuis le début de l’année. Lors de son Congrès national, le Parti a réitéré son objectif de croissance du PIB9à 5 % pour 20251

Les incertitudes mondiales ont encore profité à l’or, qui gagne 10 % sur le mois et 18 % entre le début de l’année et fin mars. Le dollar s’est fortement déprécié face à l’euro. Ce dernier a pris 4,5 % sur le mois, un mouvement d’ampleur, avec une séance record de hausse de 1,7 % face au dollar sur la journée. Pas de baisse du pétrole en mars, seul le gaz a reculé1.

Le Graphique du mois

Source : Budget Lab at Yale. 
Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. 

Bilan et perspectives macro 

Le point de bascule  

Le 2 avril marque un tournant, alors que Donald Trump a annoncé appliquer aux produits entrant aux Etats-Unis des droits de douane bien supérieurs à ce qui avait été anticipé. Il plonge le monde et les bourses dans l’inconnu. Méthode de négociation ou approche dogmatique, il est encore difficile d’y voir clair, mais les répercussions négatives sur les actifs financiers et l’économie semblent bien réelles.

 

 

Acte 1 : une réciprocité difficile à encaisser 

Le verdict est tombé le 2 avril et il fut sévère. Si Donald Trump a épargné globalement le continent américain, il a tapé fort sur les autres régions du monde.  

- Les exportateurs asiatiques ont été parmi les plus touchés : Vietnam, Thaïlande, Chine… Celle-ci s’est vue imposer 34 % de taxes supplémentaires en plus des 20 % déjà en vigueur ; le Japon 24 %10 

- L’Union européenne a pris une surtaxe de 20 %10 

Avec un « plan tarifaire réciproque » se déclinant en deux parties.  

1) A partir du 5 avril, toutes les importations américaines sont taxées à hauteur de 10 %, un tarif non négociable10 

2) A partir du 9 avril, les partenaires commerciaux subissent une taxe supplémentaire différenciée, à l’exception du Canada et du Mexique, concernés par des annonces antérieures.  

Le gouvernement américain a menacé de nouvelles hausses tout pays prenant ce qu’il considèrerait comme des mesures de rétorsion. Une voie qu’a choisie d’emprunter la Chine, en annonçant très rapidement en retour augmenter ses propres tarifs douaniers sur les produits en provenance des Etats-Unis. Alors que l’Union européenne a estimé au travers d’Ursula von der Leyen, qu’une négociation était encore possible.  

Acte 2 : Capitulation (?) partielle de Trump sous pression des marchés obligataires

Le 9 avril, Trump annonce qu'il suspend pendant 90 jours les tarifs réciproques pour les pays qui n’ont pas exercé de représailles, en maintenant le tarif minimum de 10 %, à l’exception de la Chine, à qui il impose un taux de 125 %11. 

D’un Liberation day à une Recession year ?  

Si Trump explique que les effets de sa politique douanière seront positifs pour l’économie américaine, les économistes se montrent plus circonspects, voire franchement inquiets. Les Etats-Unis seront le pays le plus touchés en termes de croissance et d’inflation parmi les grands pays développés. 

Les taxes douanières vont en réalité signifier une surtaxe pour les consommateurs américains et venir rogner les marges des entreprises. Il s’agit d’un « choc fiscal » pour le secteur privé américain d’environ 2.5 % de PIB. Cela se traduira par une hausse de l’inflation d’1 à 2 points supplémentaire et pourrait coûter plus d’1 % de croissance au pays. D’ailleurs, les économistes estiment actuellement à plus de 40 % la probabilité d’une récession aux Etats-Unis à horizon un an contre 10 % en début d’année11. 

Aussi, cette politique tarifaire crée un choc d’offre durable en perturbant les chaines de valeur et dégradent les conditions financières comme en témoigne la hausse des taux longs et des spreads de crédit, la baisse des marchés actions et du dollar.  

Si la pause de 90 jours des tarifs douaniers américains a pu apaiser les craintes à court terme d'un choc commercial et financier, la structure tarifaire reste complexe et incertaine (25% sur l’acier, l’aluminium et l’auto, 140% sur les produits chinois, etc…)11. De quoi continuer à peser sur les décisions d'investissement des entreprises et la confiance des consommateurs.

Quelle pourrait alors être la réponse de la Fed12 ?

Le marché anticipe 4 baisses de taux dans l’année, dont une dès le mois de juin, avec une forte probabilité11. Néanmoins, cela n’est pas le sens du discours de l’institution à l’heure actuelle. Les évolutions de sa politique dépendront de celle du marché de l’emploi, qui n’a pas encore été confronté aux conséquences des hausses tarifaires ainsi que de l’évolution de l’inflation américaine attendue en hausse dès cet été.

Concernant la partie longue de la courbe, un certain nombre de facteurs structurels, notamment une inflation supérieure à l'objectif, des préoccupations concernant l‘indépendance de la Fed, une prime de terme ainsi qu’une prime de risque plus élevée, plaident en faveur de taux structurellement plus élevés.

Mauvais timing pour la zone euro 

Les perspectives de croissance restent incertaines à ce stade, avec deux forces opposées en jeu : les retombées positives des plans d’investissement d’un côté, et l’incertitude liée à l’évolution de la politique américaine de l’autre.  

Même si l’effet récessif de la hausse des tarifs douaniers apparait moindre en Europe qu’aux Etats-Unis, les exportations vers les Etats-Unis ne représentant que 3,5 % du PIB de la zone euro, certains secteurs (automobile, transports, aviation, produits pharmaceutiques, vins et spiritueux, etc..) et certains pays, notamment l’Allemagne premier exportateur de l’Union, seront particulièrement touchés11. De même, la hausse des incertitudes économiques et la dégradation des conditions financières qui vont retarder les prises de décision des entreprises et pénaliser l’investissement et l’emploi ou encore une concurrence chinoise accrue (le marché européen étant le principal substitut au marché américain) devraient durer encore plusieurs mois et peser sur l’activité. 

C’est pourquoi nous révisons la croissance du PIB de la zone en 2025 à la baisse, à +0,7 % (vs 1 %) et 1,5 % en 202613 

Ces annonces tarifaires surviennent alors que l’Union européenne pouvait se réjouir de quelques bonnes nouvelles : amélioration des indices PMI, avec une reprise des nouvelles commandes, notamment en Allemagne ; dynamique de baisse des taux favorable au crédit ; désinflation bien installée, avec une inflation core14 dans les services à 3,4 % contre 3,7 % le mois précédent15. Mais surtout, l’Europe devrait profiter du vaste plan d’investissement allemand. Selon un scénario central, et en prenant un multiplicateur de 0,3 pour les dépenses liées à la défense et de 1,2 pour celles liées aux infrastructures, le surplus de croissance de PIB pour l’Allemagne pourrait en effet avoisiner 0,3 % dès 2025, puis 1 % en 2026, pour atteindre plus de 1,5 % en 2027 et 202815 

Aussi cette guerre tarifaire devrait renforcer le mouvement de désinflation, y compris en cas de ripostes de l’UE sur certains biens américains. Le ralentissement de la demande extérieure, les surcapacités mondiales, la baisse des prix de l’énergie et des matières premières ou encore l’appréciation de l’euro face au dollar plaident pour une baisse de l’inflation. De quoi apporter à la BCE suffisamment de visibilité pour poursuivre son assouplissement monétaire, avec comme objectif un taux directeur que nous estimons désormais à 1,75 %13.

La Chine a ce point commun avec l’Europe de pouvoir compter sur les plans de relance pour atténuer la guerre tarifaire avec les Etats-Unis. Aussi les autorités ont pris des décisions politiques fortes visant à soutenir la demande intérieure et la croissance lors des dernières sessions du congrès national du parti fin mars ; même si leur objectif de croissance de 5 % en 2025 semble en l’état bien ambitieux. Le consensus anticipait 4,5 % avant l’escalade tarifaire des derniers jours15. 

Le plan consiste à relancer la croissance intérieure via des projets de réaménagement urbain, une extension du programme de reprise des biens de consommation, une augmentation des salaires minimums, une extension de la couverture sociale, des subventions à la garde d'enfants, etc.  

En parallèle, les autorités mettent l'accent sur le développement technologique, avec un large éventail de mesures pour soutenir l'innovation et l'adoption continues des technologies, y compris un soutien plus large aux marchés de capitaux et au financement.  

Avec une inconnue : jusqu’où ira la guerre tarifaire et dans quelle mesure elle cassera cette dynamique de confiance que la Chine semblait progressivement avoir retrouvée en ce début d’année ?

 

À l’heure américaine - Regard d’expert

Dans un contexte de marché compliqué, le lien entre durabilité et performance financière peut se révéler encore plus évidente.

Jens Peers, Chief Investment Officer de Mirova aux Etats-Unis et gérant de portefeuille, estime que l'augmentation des taux de droits de douane effectifs risque d'entraîner une inflation plus élevée, notamment aux États-Unis, ce qui pourrait provoquer une récession liée à la baisse de la consommation des biens et services. Par ailleurs, la mondialisation telle que nous l'avons connue ces dernières décennies sera redéfinie. L'incertitude concernant les développements futurs engendrera de la volatilité et exercera probablement une pression sur les marchés, comme l'a illustré la chute brutale des marchés boursiers mondiaux après les annonces du 2 avril : près de -10 % en seulement deux jours. Malgré la faiblesse récente des marchés, il y a encore un potentiel pour une nouvelle baisse, mais nous devrions faire face à des jours tantôt optimistes, tantôt pessimistes sur les marchés boursiers. Si des accords plus favorables sont conclus entre les ÉtatsUnis et d'autres pays, cela serait positif pour les marchés actions, mais nous continuons à anticiper un niveau global de droits de douane effectifs plus élevé et à percevoir un potentiel de récession. 

« De nombreux thèmes d'investissement durable pourraient surperformer d'autres secteurs ou thèmes, car ils sont généralement plus résilients et de meilleure qualité », analyse Jens Peers. Un phénomène que nous avons déjà pu observer sur les marchés au lendemain des annonces du président américain, de nombreuses sociétés du renouvelable, des services publics et du secteur pharmaceutique ayant été plus robustes que le marché dans son ensemble. 

Nous pouvons faire un parallèle entre les perturbations sur le commerce international et la matérialisation du risque de durabilité. Les entreprises qui ont travaillé sur la résilience de leur chaîne d’approvisionnement et des circuits courts s’en trouvent avantagées. De plus, toutes choses étant égales par ailleurs, un ralentissement des échanges mondiaux et des chaînes d'approvisionnement plus courtes seraient bénéfiques pour l’environnement, avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela incitera aussi les entreprises à travailler sur leur résilience. 

Ainsi, bien que les actions de l'administration Trump puissent, par inadvertance, avoir un impact positif sur l'environnement, il est peu probable que l'on puisse en dire autant des enjeux sociaux, même si l'objectif est de ramener des emplois aux États-Unis. « Il faut s’attendre à des hausses de prix qui toucheront particulièrement les personnes les plus pauvres, non seulement aux Etats-Unis, mais partout dans le monde. » 

Et la suite ? Reste une grande inconnue : la géopolitique. Pendant que le monde a les yeux rivés sur les tarifs douaniers et les marchés, il ignore la Russie, Israël ou l’Iran, qui pourraient être au cœur des futures décisions de Donald Trump.

The Long View

La Chine peut-elle échapper au scénario japonais ?

Les comparaisons entre ce qu’il advient de la Chine depuis la crise du covid et ce qu’avait traversé le Japon il y a 35 ans font florès, pour d’excellentes raisons. Les deux pays partagent en effet, à trois décennies d’écart, des similitudes frappantes : affaissement démographique après des décennies d’une croissance soutenue de leurs populations et de leurs économies respectives, choc immobilier, doutes sur la qualité des créances portées par le système bancaire ou proto-bancaire, exportations massives mais qui refluent après des années de maintien de politiques mercantilistes assumées et fondées sur une patiente montée en gamme via des contenus à la valeur ajoutée augmentée petit à petit. Le parallèle semble donc évident, et la conclusion tout autant : la Chine traverserait dans les années 2020 et 2030 ce que le Japon endura au long des années 1990 et 2000.  

L’affaire paraît entendue. Déflation, consolidation bancaire, gonflement de l’endettement public, atonie des marges des entreprises et érosion de la domination technologique feraient partie du programme… du moins en théorie. Et en théorie seulement, car il nous apparaît que les dirigeants du parti communiste chinois ont anticipé ce scénario et se dotent des moyens de l’éviter, d’autant que ces tendances similaires ne s’inscrivent pas dans les mêmes amplitudes de temps ; alors, à combien évaluer les chances de la Chine d’éviter de suivre le contre-modèle japonais ?  

Relance démographique : l’impossible Monsieur bébé… 

Nous avons plusieurs fois évoqué le fait saillant de la suite du XXIeme siècle : le ralentissement démographique sinon généralisé, du moins en passe de le devenir, dans des proportions assez marquées pour déboucher sur une décrue au siècle prochain. Tout le monde connaît le cas de la Corée du Sud bien sûr, où le taux de fécondité s’effondre, pour atteindre à peine 0,8 enfant par femme en âge de procréer, mais aussi ceux de Singapour (1 enfant par femme en 2022), de l’Espagne (1,2), de l’Italie (1,2), de la Pologne (1,3) de la Thaïlande (1,3) ou de l’Uruguay (1,5)... tous les continents s’y voient sujets, hormis l’Afrique, même si le Maghreb ou la Corne semblent avoir enclenché des ralentissements sur de longues tendances (en évacuant les périodes troubles, comme par exemple la terrible guerre civile en Algérie de la fin des années 1990, qui perturbe la lecture des trajectoires)16 

Plusieurs pays s’échinent à enrayer le phénomène. La Hongrie (1,5) s’y emploie avec des politiques très généreuses envers les couples accueillant des enfants. La Russie (1,4) essaie aussi, mais les résultats n’atteignent pas les espoirs placés en ces politiques de relance de la natalité. Inutile de faire durer le suspense : la Chine n’y parviendra pas davantage que les autres nations ayant tenté l’expérience. Xi Ji Ping y a pourtant mis les moyens, mais le taux de fécondité reste désespérément sous les 2,1 enfants par femme nécessaires au renouvellement des générations, puisqu’il se situe à 1,2 enfant par femme, en chute constante depuis les 1,8 atteints en 201716 

Les raisons ne diffèrent guère de celles à l’œuvre en occident notamment : coûts de l’immobilier, promiscuité urbaine, frais scolaires et aspirations des individus à jouir d’une plus grande liberté ou d’un plus grand confort matériel. La difficulté de former des couples résistant au temps fait aussi partie des raisons récemment invoquées ; il s’agit sans doute d’ailleurs d’un dérivé du taux d’urbanisation, puisque les sociologues savent déjà depuis longtemps que les probabilités de rencontres supérieures en ville, ce dont les jeunes se montrent parfaitement conscients, rendent paradoxalement plus enclin à ne pas faire de choix puisqu’il existe beaucoup d’alternatives. Un changement de mentalité, ou de modes de vie, ne se décrète pas : si Mao Tsé Dong a eu du mal à forcer les couples chinois, notamment dans les parties occidentales du pays, plus rurales, à se limiter à un enfant, comment imaginer que ses successeurs parviennent à les convaincre d’en avoir plus de deux alors qu’ils ont désormais largement dû s’agglutiner dans de vastes centres urbains ?   

Or, les tendances démographies constituent l’un des piliers de l’activité économique : à productivités et accès aux ressources constants, la variation de la population apparaîtra positivement corrélée à la croissance économique. Comment la Chine éviterait-elle d’en affronter les conséquences ? 

Relance par la production : un potentiel de progression supplémentaire sous-estimé ? 

La politique de Mao a eu pour effet de décaler les cycles démographiques et macro-économiques chinois, que Deng Xiao Ping a ensuite déverrouillées. 30 ans après, ce décalage produit encore des effets. En résumé, le sommet démographique chinois ne coïncide pas avec son sommet productif. 

Si le Japon, pour poursuivre la comparaison, avait su à la fin des années 1980 démontrer une supériorité écrasante dans l’électronique grand public, par exemple, qui n’avait fait que s’effilocher ensuite, les Chinois peuvent paradoxalement encore compter sur des effets de rattrapage considérables dans beaucoup de secteurs. Dans l’aviation civile par exemple avec le C919 de Comac, le matériel militaire avec le dernier J-36, un avion de chasse de sixième génération de Chengdu Aircraft Corporation, les véhicules électriques ou non de BYD, SAIC ou XPeng, la mobilité ferroviaire avec le leader mondial CRRC, les pneumatiques avec Zhongce Rubber Group Co., les drones avec DJI, l’Intelligence Artificielle avec SenseTime, ByteDance ou Baidu, les robots industriels, la gestion d’actifs, l’assurance, le machinisme agricole, l’équipement minier, les puces électroniques, la robotique... Nous pourrions multiplier les exemples à l’envi pour illustrer que les entreprises chinoises ont sans doute encore énormément de parts de marché à prendre à l’échelle de l’Asie voire du monde si le conflit larvé avec les Etats-Unis trouve une issue raisonnable17 

Leur avance technologique dans plusieurs domaines, celui des batteries lithium-ion par exemple, ou les progrès qu’elle fait encore, apparaît supérieure à celle que leurs cousins japonais détenaient à la fin des années 1980, ce alors qu’ils n’ont pas encore évincé réellement leurs compétiteurs, bien au contraire. S’il n’y a pas d’entraves trop fortes à la libre-circulation des biens dans le futur, le potentiel chinois semble alors bien loin d’avoir été épuisé. Et l’alignement des agendas industriels et technologiques sur celui des autorités chinoises, qui visent l’autonomie totale dans certains secteurs, notamment les semi-conducteurs, ajoute à la probabilité qu’une bonne part de ces développements soient menés à bien.  

Dernier sceau à lever : l’immobilier. Là encore, les autorités semblent avoir bien abordé le problème.  

Un dernier frein : l’immobilier ou la croissance pour les nuls 

Ce potentiel non saturé de redressement industriel suffira-t-il à compenser les effets négatifs de la dépression immobilière ? Nous le pensons. Pour rappel, les secteurs de la promotion et de la construction immobilières offrent des gains de PIB massifs, rapides et quasi mécaniques. Voilà qui a de quoi plaire à n’importe quel dirigeant politique, de quelque bord qu’il se trouve, d’autant que des infrastructures récentes contribuent toutes choses égales par ailleurs à renforcer la productivité de l’ensemble des agents économiques qui les utilisent. A l’inverse, leur reflux pénalise assez vite la croissance en soi, sans compter que la décrue des prix des logements, bien que le parc ne progresse plus, affecte l’effet richesse et in fine, la consommation des ménages. 

Le système de développement en Chine après le départ de Deng Xiao Ping a en grande partie reposé sur ce boom de l’immobilier, alimenté par l’exode rural massif de populations croissant à un rythme élevé et s’enrichissant, avec la création d’une vaste classe moyenne de quelque 300 millions d’individus au minimum17. Le cercle vertueux ainsi généré a des effets magiques… jusqu’à ce qu’il s’enraye et se corrompe en dérivant vers un cercle vicieux où les décès libèrent des logements dont la génération suivante n’a pas besoin dans les mêmes proportions, créant chute des prix, impayés et créances douteuses dans les bilans bancaires. La Chine a selon nous eu une approche assez pragmatique du problème, plutôt que de recourir à l’immigration de masse pour soutenir les prix, ou d’offrir des stimuli publics à l’acquisition de logements, qui auraient pu avoir leur logique, ses autorités ont choisi de lisser la chute, de laisser certains acteurs s’effondrer et de purger le segment en amortissant le choc pour éviter de détériorer l’effet richesse. 

Conclusion : la Chine de 2025 n’est pas le Japon des années 1990 

La Chine affronte des menaces peu ou prou similaires à celle qu’a dû encaisser le Japon à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ; pourtant, ses autorités et ses industriels ont su se donner les moyens de ne pas connaître le même sort terrible d’atonie économique prolongée, grâce à des choix qui nous paraissent judicieux pour partir, et « grâce » aussi aux déséquilibres qu’a introduits Mao et qu’a corrigés Deng Xia Ping. 

Le grand bond en avant économique qu’a accompli la Chine depuis le mandat de ce dernier ne devrait donc pas se terminer dans un marasme : l’émergence de capacités industrielles, de percées technologiques et de réseaux d’accès aux ressources naturelles assurent que les vents contraires du déclin démographique et de la tension sur l’effet richesse, via l’immobilier, qui en découle devrait permettre d’entamer une période de croissance certes moins dynamique, mais toujours satisfaisante. D’éventuels trous d’air pourraient se voir corriger aisément par des épisodes de relance keynésienne ponctuels.  

Un avenir rose semble donc se dessiner… à moins que les Etats-Unis, conscients de se voir concurrencer sur le cœur des domaines qu’ils entendent dominer – IA, robotique, défense – ne décident de fermer l’Occident à la Chine. C’est d’ailleurs aussi cela qui se joue sur le front ukrainien : la délimitation de la sphère d’influence chinoise.

Synthèse Vues de marchés

Les données mentionnées reflètent l’opinion de Mirova et la situation à la date du présent document et sont susceptibles d’évoluer sans préavis. Toutes les valeurs mobilières mentionnées dans ce document, le sont à titre illustratif uniquement et ne constituent en aucun cas un conseil en investissement, une recommandation ou une sollicitation d’achat ou de vente.

1Source : Bloomberg, Avril 2025

3 Indice PMI (Purchasing Manager’s Index) : Indicateur permettant de connaître l’état économique d’un secteur
4Core inflation : Inflation qui exclut certains éléments volatils, généralement les prix des aliments et de l'énergie 
 Réserve fédérale (Fed) : Banque centrale des États-Unis 
5Spread : différence de prix entre le cours d'achat (offre) et le cours de vente (bid) coté pour un actif 
6Investment Grade : Notations des agences de rating situées entre AAA et BBB selon l’échelle de Standard & Poor’s. Ils correspondent à un niveau de risque faible 
7High Yield (ou haut rendement) : Titres de créance offrant un fort rendement en contrepartie d’un haut niveau de risque 
8OAT : Obligations assimilables du Trésor
9 PIB (Produit Intérieur Brut) : Valeur totale des biens et services produits dans un pays au cours d'une période donnée, généralement une année
10Source: Bloomberg, Avril 2025
11Source: Bloomberg, Avril 2025
12 Réserve fédérale (Fed) : Banque centrale des États-Unis
13Source: Mirova, Avril 2025
14Core inflation : Inflation qui exclut certains éléments volatils, généralement les prix des aliments et de l'énergie
15Source: Bloomberg, Avril 2025
16Source: data.worldbank.org, 2022
17Source: Mirova, Avril 2025
18 Investir dans les deux extrêmes, les investissements à haut risque et les investissements à faible risque, tout en excluant les investissements à risque moyen.