Mirovα, Creating Sustainable Value - Février 2025
Janvier : un condensé des thématiques de 2025 ?
Les indices ont terminé le premier mois de l’année sur des sommets, avec une nette surperformance des indices européens, qui gagnent près de 7 %, contre 3 % pour ceux américains. Des gains ne reflétant pas nécessairement la succession d’épisodes de stress que les investisseurs ont dû gérer tout au long du mois.
Tout a débuté avec une violente hausse des taux longs américains, et un quasi-franchissement du seuil des 4,8 % pour le taux 10 ans. En cause, la conjugaison de bons chiffres macroéconomiques, notamment l’emploi, avec les craintes quant aux effets de la politique de Donald Trump sur la hausse des prix et la trajectoire de la dette américaine. Il aura fallu la publication d’une inflation plus faible que prévu pour calmer le stress de marché. Un calme sans doute temporaire, car le sujet devrait continuer d’animer le reste de l’année. Les taux européens ont également connu une hausse au cours du mois, essentiellement par effet contagion.
Le Graphique du mois
Le deuxième coup de semonce a touché les marchés actions américains, à l’annonce de la sortie de l’IA chinoise DeepSeek. Une nouvelle qui a entraîné une chute de près de 17 % du cours de Nvidia en une séance, soit une perte de près de 600 milliards de dollars de capitalisation boursière. Au cours de cette même séance, le Nasdaq a lâché 3 % et le S&P5001 2 %. Cela vient rappeler à quel point la performance des marchés américains dépend de la thématique de l’intelligence artificielle. Elle a tiré l’essentiel des performances l’année dernière et se concentre sur une poignée de valeurs, les désormais fameuses 7 Magnifiques. Cette concentration rend les indices américains vulnérables à toute mauvaise nouvelle en provenance de ces leaders de marché.
En fin de mois, la macroéconomie et les relations internationales ont repris le dessus, à la suite des fracassantes annonces de Donald Trump quant aux relèvements des tarifs douaniers. La surprise est venue de leur ampleur et de la rapidité de leur application : + 25 % pour le Canada et le Mexique, + 10 % pour la Chine, pour une valeur de biens concernés de 1 300 milliards de dollars, et ce dès les premiers jours du mois de février. Néanmoins, il est rapidement apparu que ces annonces devraient surtout servir de levier de négociation avec les pays concernés, Trump déclarant dans la foulée leur suspension pendant 1 mois, le temps de trouver un accord. Cette politique tarifaire laisse néanmoins présager de futurs épisodes de volatilité, avec en ligne de mire des futures annonces qui devraient impacter cette fois-ci l’Europe.
Du côté des matières premières, le cuivre a fait une remontée notable, gagnant 6 % après 4 mois de repli tandis que l’once d'or atteint la barre historique des 2880 dollars, jouant son rôle de valeur refuge dans ce climat d’incertitude. Les prix de gros du gaz sont également plus élevés en Europe. Les réserves ont chuté sous les niveaux de l’hiver dernier, avec une saison marquée par des vagues de froid. Cette tendance haussière depuis plusieurs mois des prix du gaz et de l’électricité en Europe pourrait finir par être pénalisante si elle était amenée à se poursuivre.
Quant au pétrole, la progression du Brent2 s’élève à 2 % sur le mois de janvier après avoir pris quasiment 10 % sur les deux premières semaines. Une hausse qui questionne par rapport à la politique de Donald Trump. Les prix de l’énergie se sont renchéris globalement de 25 % à 30 % depuis la fin de son premier mandat. Son ambition affichée : les abaisser fortement, pour ainsi atténuer auprès des consommateurs les effets inflationnistes de sa politique commerciale. Une stratégie qui, malgré de grandes déclarations sur l’augmentation de la production de pétrole, risque de prendre un certain temps. Le Président américain conserve néanmoins deux autres leviers déflationnistes dans sa manche : la réduction des dépenses publiques et des frais de fonctionnement de l’Etat, ainsi que la déréglementation. Leurs effets seront attendus face aux récentes annonces du Président liées à la hausse des tarifs douaniers, dont l’ampleur réelle demeure encore incertaine.
Bilan et perspectives macro
Un jeu moins lisible
En ce début d’année, un certain nombre d’incertitudes agitent les investisseurs, et plus largement l’ensemble du monde économique. Entre la guerre technologique qui bouleverse le jeu entre la Chine et les Etats-Unis et les déclarations contradictoires de Trump en matière de politique commerciale, y compris vis-à-vis de ses partenaires les plus proches, les changements de direction s’accélèrent.

Avec DeepSeek, un soutien mondial à la productivité
Evidemment, les difficultés structurelles de la Chine ne se sont pas envolées avec le changement d’année, notamment son effondrement démographique, inscrit dans le temps long. Toutefois, la sortie de DeepSeek, une intelligence artificielle (IA) à priori efficace et surtout bien moins coûteuse que ses consœurs américaines, prouve que le géant asiatique conserve un vrai potentiel. Cette démonstration technologique illustre le virage innovant pris par le pays, également observable avec les véhicules et batteries électriques. De quoi trouver de nouveaux relais de croissance et améliorer l’attractivité de la Chine et de son marché actions à court terme, notamment par rapport à son concurrent américain.
Les bénéfices de DeepSeek et futurs équivalents ne se cantonneront pas à la Chine. Ces outils laissent présager des gains de productivité à un coût d’accès abaissé, facilitant ainsi la diffusion de l’IA à tous les secteurs de l’économie. Cela pourrait entretenir un scénario goldilocks3, les gains de productivité nourrissant la croissance, tout en contribuant à abaisser l’inflation, notamment dans des zones en retard en termes de d’adoption de ces technologies telle que l’Union européenne.
Avec la diffusion rapide de l’intelligence artificielle, nous estimons que la création de valeur devrait désormais se porter sur les innovations de service, autour du software4, plus que sur les équipements et le hardware5. Cela révèle en revanche une certaine fragilité du marché américain, dont la performance reste très dépendante des grandes entreprises de hardware et semi-conducteurs, Nvidia en tête. Le risque de déception latent devient réel, et cela souligne l’importance, en 2025, de privilégier la diversification. Diversification sectorielle aux Etats-Unis tout d’abord, en intégrant des positions sur le secteur industriel, la santé, la consommation discrétionnaire et les financières. Diversification géographique ensuite, en investissant en dehors des Etats-Unis, notamment sur le marché actions européen encore sous-détenu, bon marché et présentant un potentiel de bonnes surprises (reprise de la consommation via hausse du pouvoir d’achat réel et baisse du taux d’épargne, BCE accommodante, plan de relance post élections en Allemagne, cessez le feu en Ukraine, etc…).
De riches consommateurs américains
Les niveaux de taux élevés aux Etats-Unis n’empêchent pas de nombreux Américains de consommer, mieux encore, de consommer sans avoir nécessairement recours au crédit. Ils profitent d’un effet richesse très positif, d’une inflation relativement stable pour le moment et de hausses de salaire (4 % en rythme annualisé sur les 3 derniers mois). Les revenus réels des ménages ont ainsi progressé de 3 % au dernier trimestre 2024, contre 1 % aux 2ème et 3ème trimestres. Avec une consommation qui pèse 2/3 du PIB6 américain, ces données démontrent un certain potentiel de résilience de l’économie sur 2025. À cela s’ajoutent un marché de l’emploi dynamique et des futures réductions d’impôt.
Les sociétés disposent elles aussi d’importantes réserves de capitaux et demeurent moins sensibles au crédit qu’elles ne l’ont été ces 15 dernières années. Finalement, plus que les consommateurs et les entreprises, ce sont les marchés financiers qui affichent, en l’état, le plus de sensibilité aux niveaux des taux et de l’inflation. Avec le risque d’une baisse du prix des actifs entrainant un effet richesse négatif. Autre point d’attention à suivre : l’ampleur des expulsions d’immigrés illégaux des Etats-Unis, qui pourraient aller jusqu’à générer un choc d’offre à caractère stagflationniste7, voire récessif à terme.
Augmentation des tarifs douaniers, bluff ou réelles menaces pour l’économie et les marchés ?
Le scénario évolue au gré des déclarations de Donald Trump et de son équipe, néanmoins l’augmentation des tarifs douaniers semble bien enclenchée, quitte à ce qu’ils n’atteignent pas les niveaux avancés par l’impétueuse administration Trump. Contrairement au premier mandat du Président, elle cible en priorité ses partenaires commerciaux privilégiés. Cela ne restera pas sans conséquences pour les entreprises américaines, dont les chaînes d’approvisionnement passent bien souvent par le Mexique, notamment dans le secteur automobile. Sans oublier que d’éventuelles ripostes pénaliseraient les sociétés exportatrices. Ce scénario semble d’ailleurs peu anticipé par les entreprises cycliques américaines, qui ont profité du résultat des élections et demeurent sur des niveaux de valorisation élevés. Une confirmation du relèvement des tarifs douaniers avec la Chine et le Mexique, pour le moment reporté d’un mois, pourrait conduire à une correction relativement sévère du S&P 500 (au moins 5 %), coûter quelques dixièmes de point de de croissance aux Etats-Unis tout en générant au moins un demi-point d’inflation supplémentaire.
En Chine ou en zone euro, la politique tarifaire américaine, si elle se limite à une hausse généralisée de 10 % sans réelle riposte, se traduirait par une contraction du PIB de quelques dixièmes de points de PIB sans générer a priori d’inflation. Elle pourrait encourager en revanche la mise en place de nouveaux plans de relance. Globalement elle devrait avoir un effet baissier sur les taux, notamment les taux courts. Aux Etats-Unis en revanche, l’impact stagflationniste de telles mesures rendrait la Fed8 plus attentiste, ce qui devrait avoir dans un premier temps un effet plutôt haussier sur les taux courts.
L’Union européenne suspendue aux élections allemandes
Au dernier trimestre 2024, l’Allemagne a enregistré une croissance de -0,2 %, dans une Union européenne qui stagne à 0 %. Les élections législatives qui se tiennent ce mois-ci ont un caractère crucial pour relancer un moteur économique dont l’Europe a cruellement besoin. Si le parti CDU-CSU9 a longtemps fait figure de favori, avec une campagne en faveur de l’économie, des entreprises et d’une reprise de l’endettement, l’issue du scrutin paraît moins certaine depuis que ce même parti a digressé vers des thèmes liés à l’immigration pour contenir l’offensive de l’AfD10. À quelles alliances la CDU-CSU se trouvera-t-elle contrainte pour gouverner ? Aura-t-elle un poids suffisant pour lever le frein constitutionnel qui bloque le niveau d’endettement du pays ? Un scénario proche de ce que connaît la France, avec une minorité de blocage arrachée par les extrêmes, reste à craindre.
Cela causerait d’autant plus de dommages que l’Allemagne demeure le pays européen dont les ménages sont les plus riches et qui dispose de la plus importante marge budgétaire pour enclencher une relance. La stabilité politique s’y fait indispensable à la reprise de la consommation et de l’investissement des entreprises, d’autant qu’elles privilégient encore les investissements en direction des Etats-Unis, au détriment de l’Europe.
De son côté, la BCE reste attentive au rythme de désinflation et se satisfait de voir l’inflation des services passer enfin sous la barre des 4 % sur fonds de modération salariale. Son objectif maintenant consiste à contrecarrer la faiblesse de la consommation et des investissements avec les armes dont elle dispose : nous devrions assister à 3 ou 4 baisses de taux, pour atteindre un taux terminal de 2 % dès cet été ; peut-être moins si la croissance européenne continue de faiblir.
Un an de Javier Mileï : libertarien ne sert de courir
Le modèle-Mileï a-t-il mis dans le mille ? Minute…
Javier Milei a fêté il y a trois mois son premier anniversaire à la tête de l’Argentine, à laquelle il applique depuis son arrivée une politique qui mérite le qualificatif, souvent galvaudé, d’authentiquement libéral voire libertarien, à quelques détails de politique monétaire près. Or, cette politique a obtenu des résultats tangibles, aux dépens toutefois de certaines parties de la population, comme annoncé d’ailleurs, mais qui pour le moment lui accordent encore le bénéfice du doute.
Il n’en fallait pas davantage pour que fleurissent ça et là en Occident des appels à répliquer des mesures aussi radicales que celles qu’a choisies le fantasque président argentin, surtout à une époque où Elon Musk se fait fort de réduire le budget fédéral états-unien de 1 000 Mds $, et non plus de 2 000 Mds $ comme il le claironnait auparavant, tandis qu’au Royaume-Uni et en France, l’inquiétude monte sur les niveaux d’endettements publics. Quoi que chacun pense du style iconoclaste de M. Milei, les mesures qu’il adopte revêtent au moins l’intérêt d’offrir la possibilité d’en observer les effets favorables ou délétères, et donc d’en tirer quelques enseignements. Ne nous en privons pas.
Massacre à la tronçonneuse
Personne ne pourra reprocher à M. Milei, qui se plaisait à s’afficher muni d’une tronçonneuse pour indiquer ce qu’il ferait au budget fédéral argentin si ses concitoyens le portaient au pouvoir, de n’avoir pas annoncé à l’avance les mesures qu’il comptait appliquer. Il suit l’agenda promis. En quoi consistait-il ? Pour l’essentiel, à contracter dans des proportions considérables le périmètre d’action de l’état, le reste de son action politique découlant de ce levier d’action préalable.
Il a donc supprimé des ministères, parmi lesquels celui de la Culture, dont il considère que l’Etat n’a pas à la financer ni à l’influencer, celui de la Femme, du Genre et de la Biodiversité et celui de l’Environnement qui nous paraît pourtant relever du Régalien, d’autant que M. Milei admet lui-même que « préserver notre planète pour les générations futures est une question de bon sens ». Quant au ministère de la Santé, il lui a infligé des réductions drastiques ; enfin, d’autres ont fusionné entre eux. Il a aussi taillé dans les budgets sociaux, réduits de 20 %, prévenant que ceci génèrerait des effets défavorables pour environ deux ans, et sabré les subventions aux entreprises, insistant là encore sur le fait que l’Etat n’a pas à favoriser des acteurs privés. Il prévoit du reste de privatiser plusieurs entreprises, dont YPF11, ou de déléguer des services publics, par exemple le transport collectif, à des opérateurs privés.
Bien entendu, il propose de déréguler, corollaire de toute volonté de réduire l’influence de l’appareil étatique.
La contraction du budget étatique ainsi visée – il a baissé de près d’un tiers au niveau fédéral – autorise des abaissements de la fiscalité, notamment la taxe sur les importations et les transactions en dollars.
En soi, la démarche de M. Milei ne présente donc guère d’originalité – ne reprend-elle pas une logique déjà adoptée, par exemple, par le gouvernement suédois à la mi-temps des années 1990 ou par celui de Mme Thatcher au début des années 1980 ? Avec pour point commun d’arriver après la crise terminale d’un interventionnisme étatique désordonné sous couvert de Keynésianisme. En revanche, l’ampleur de ces mesures en fait une expérience assez inédite.
Autre motif de surprise : après qu’il a procédé à une dévaluation massive, et relativement classique, du Peso, M. Milei a souhaité lui substituer le Dollar américain. Cela n’a rien de très libéral dans le contexte d’économies ouvertes : confier le soin de gérer le niveau des taux voire des changes à une banque centrale étrangère fait courir le risque à l’Argentine de se priver de la souplesse qu’exigent les différentiels d’inflation ou de croissance qui ne manqueront pas d’advenir dans la durée. Au vu des ratés du peg Peso-Dollar instauré de 1991 à 2002, et de leur coût faramineux pour l’économie argentine après quelques années de franc succès, comme des lignes habituellement défendues par M. Milei, cette partie de son plan ne laisse pas d’interroger. Il semble désormais qu’il explore la possibilité d’y renoncer purement et simplement, ce qui aurait selon nous le mérite de la cohérence.
Alors, quels résultats cette politique a-t-elle obtenus ?
Les résultats : déficits en baisse, précarité en hausse, et signaux encourageants
S’il fallait porter à l’actif de M. Milei une victoire, il s’agirait sans équivoque de la rapidité avec laquelle il a fait reculer l’inflation dans le pays malgré la dévaluation rapide du Peso sans pour autant que l’économie ne s’effondre plus rapidement. De 211,4 % en 2023, l’inflation a reflué sous les 118 % en 2024 avec une inflexion désormais rapide dans le temps : en octobre et en novembre comme en décembre, la hausse des prix s’inscrivait sous les 3 % mensuels. Certes, une partie de cette réduction provient mécaniquement de l’austérité plutôt que du seul assainissement des comptes publics en soi, mais les Argentins semblent pour le moment s’y retrouver tant enrayer l’emballement inflationniste devenait un objectif consensuel dans toutes les couches de la société.
Autre point spectaculaire, mais peu surprenant vu l’ampleur des coupes : un excédent budgétaire primaire d’environ 1 % du PIB12 que Fitch puis Moody’s ont salué de relèvements de notation pour la dette souveraine argentine. À la suite de quoi, les deux agences ont aussi relevé leurs notes de diverses entreprises du pays.
Enfin, la balance commerciale bondit, à plus de 18 Mds $ en 2024, sous le double effet de la contraction des importations et de la hausse des exportations, notamment de commodités. Ce dernier point paraît moins significatif : l’Argentine a souvent, ces dernières décennies, affiché ce genre d’excédents, en partie liés à sa dépendance aux productions agricoles.
M. Milei a donc quelques motifs de satisfaction après un an de pouvoir, et autant de motifs d’inquiétude. Car, même s’il avait prévenu que la précarité bondirait dans la période suivant immédiatement l’adoption de ses premières mesures, il n’en reste pas moins qu’il lui faudra la résorber. Le temps presse : le taux de pauvreté frise les 50 %.
Enfin, la plupart des indicateurs d’activité économique, s’ils paraissent encourageants, ne trahissent aucune dynamique vraiment installée encore. La consommation rebondit très légèrement, la production industrielle s’inscrit dans une trajectoire de reprise assez faible, et si les salaires réels se redressent enfin, il ne faut pas oublier leur effondrement initial à l’arrivée de M. Milei, qui a là créé une base de comparaison très favorable.
Au vu de toutes ces données, 2025 pourrait s’avérer assez bénéfique à l’économie argentine, avec une croissance supérieure à 3 %, des déficits fédéraux sous les 0,5 % du PIB et des excédents primaires aux alentours de 1 %, une production et l’emploi en hausse alimentant salaires et consommation. En soi, même ceux qui doutent le plus de M. Milei ne peuvent que se réjouir pour les Argentins.
Libertariens 1 – 0 Péronistes
Autant ne pas le nier : à ce stade, l’expérience que constituent les mesures vigoureuses prises par M. Milei ressemble donc à un succès, un succès très timide, sinon fragile, mais à un succès. Rien ne présage qu’il puisse se prolonger car la confiance dans le Peso et le retour des capitaux, sans lesquels aucun rebond ne saura s’inscrire dans le temps, ne semblent toujours pas acquis malgré les amnisties fiscales généreuses et qui ne pouvaient bien sûr pas suffire.
Surtout, personne ne connaît le coût réel qu’induiront ces mesures sur la société ; M. Milei, alors candidat, avait promis deux ans de souffrance avant une vraie sortie de l’ornière : si la précarité ne reflue pas, son expérimentation tournera petit à petit à l’échec, un de plus pour ce pays qui occupa brièvement la place de quatrième puissance mondiale il y a presque cent ans.
Si en revanche les taux de pauvreté chutent enfin, que l’investissement et la consommation redémarrent sur plusieurs semestres d’affilée, alors il faudra reconnaître que les mesures adoptées en Argentine, malgré leur brutalité parfois – car supprimer des emplois, même peu productifs, reste brutal pour ceux qui les occupaient et ne peut satisfaire aucun dirigeant digne de ce nom – ont atteint leurs objectifs. Reste que le problème de toute expérience en matière de politique économique ne change pas : elle se fait sur des êtres humains, et non en laboratoire sur des cobayes ; dès lors, les erreurs d’appréciation n’aboutissent pas qu’à devoir réviser les théories économiques, elles affectent des travailleurs, des enfants, des retraités…
Quand bien même M. Milei rencontrerait-il un succès probant, ce que nous souhaitons aux Argentins, il subsistera une question : sa méthode peut-elle s’exporter à d’autres pays, comme le fantasment les Libertariens ? Rien n’apparaît moins sûr, car le contexte argentin constituait une anomalie. Le Péronisme et ses avatars plus ou moins fidèles qui ont imprimé le pays 70 ans durant avaient dérivé vers une forme de clientélisme généralisé, le tout sur fond de corruption endémique, qui avaient eux-mêmes épuisé le potentiel de l’économie, notamment en faisant fuir les capitaux vers les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Uruguay ou le Chili. En un sens, si M. Milei peut encore tabler sur la patience des Argentins, c'est d'abord parce qu'il les a prévenus des efforts qu'il leur demanderait, mais aussi parce qu'ils sont conscients que des décennies de péronisme, plus ou moins altéré, ne pouvaient aboutir qu'à une telle situation. De même, les Britanniques avaient-ils suivi Mme Thatcher après les échecs des Travaillistes englués dans la tagflation. Sans doute les Libéraux croiront-ils discerner dans les succès de M. Milei la preuve de l’efficacité de leurs théories, alors qu’une fois de plus, ils prouveront surtout que corriger les excès d’un social-clientélisme dévoyé sous le prétexte fallacieux du Keynésianisme qu’il trahit, ne peut que remobiliser les agents économiques, redresser la productivité de ceux-ci et leurs investissements.
Conclusion : le Libertarianisme, un sport collectif ?
La leçon de l’expérience Milei, paradoxalement, se tient tout entière là, en ce qu’elle n’a pas tant trait à l’économique qu’au politique : il n’y a pas de recette économique efficace sans un minimum de consensus social pour soutenir ceux qui la mettent en place. Charles de Gaulle, fondateur de la Vème République Française et peu suspect de foi démesurée dans les vertus du Libéralisme, l’avait déjà démontré quand il avait présenté le douloureux plan Rueff et une violente dévaluation, pour redresser un pays alors en très mauvaise posture. La population française avait adhéré, non par croyance aux thèses de Jacques Rueff, mais parce qu’elle avait admis que toutes les catégories sociales auraient à y contribuer dans des proportions à peu près équivalentes. Quelques années après, elle jouissait d’un PIB par habitant parmi les plus élevés de la planète, frôlant celui des Etats-Unis, dans un pays totalement désendetté, et n’hésitant pourtant pas à recourir à la création monétaire si besoin.
L’Argentine ne s’en trouve certes pas là, mais si d’aventure la cohésion sociale y reste stable, que la confiance entre agents économiques – véritable faille de l’Argentine depuis des décennies – et donc, dans le Peso que M. Milei critique par négligence, y revient, alors, les perspectives d’un redressement continu s’ouvriraient.
À l’heure où les sociétés occidentales s’étiolent parfois sous les coups de la croissance des inégalités qui alimente l’émergence de partis dits « populistes », recevoir une leçon de l’Argentine pourrait avoir des vertus. Après tout, ils ont pris l’habitude de nous en administrer… en tous cas aux Néerlandais en 1978, aux Anglais et Allemands en 1986, aux Italiens en 1990 et aux Français en 2022...
Synthèse Vues de marchés
