Intelligence artificielle : faire converger révolution numérique et transition écologique
Position Paper
Faisons de l’IA un accélérateur des transitions
L’intelligence artificielle (IA) redéfinit notre monde à une vitesse fulgurante, transformant profondément les économies, les modes de conception et de production, donc les industries et la société dans son ensemble. À l’image d’internet, elle forme un puissant moteur d’innovation et de productivité dont il reste encore difficile de mesurer toutes les conséquences. Dans les entreprises, le recours à cette technologie est voué à se généraliser, avec des impacts probables sur la rentabilité et une modification des modèles économiques. Cette révolution technologique soulève des enjeux majeurs en matière d’éthique, d’impact environnemental, social et de gouvernance. Alors que l’adoption de l’IA s’accélère, il est impératif que son développement et son utilisation s’inscrivent dans une approche durable et responsable.
Chez Mirova, nous considérons l’IA non seulement comme un levier puissant de transformation économique, mais aussi comme un outil crucial pour accélérer la transition vers un modèle plus durable. Notre approche repose sur deux convictions qui guident notre engagement.
D’abord, nous croyons en la convergence des révolutions digitale et écologique (« AI for Sustainability ») et une utilisation éthique et transparente de cette technologie, afin d’en garantir un développement responsable (« Sustainable AI »).
La notion de souveraineté est également importante : les biais dans la construction des modèles et leurs usages peuvent entraîner des répercussions significatives sur les décisions économiques, sociales et même géopolitiques, renforçant ainsi des dynamiques de dépendance et d’injustice. Assurer un cadre rigoureux de conception et de gouvernance de ces modèles constitue donc un enjeu majeur pour garantir une IA alignée avec l’intérêt général.
Ces axes structurent notre vision. Alors que se tient le Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle les 10 et 11 février 2025 à Paris, cette publication vise à exposer notre perspective sur ces enjeux en montrant comment une approche durable et responsable de l’IA peut contribuer à répondre aux défis sociétaux et environnementaux actuels et créer de la valeur sur le long terme.
Contexte et enjeux
L’IA s’impose comme un outil stratégique pour relever les défis environnementaux et sociaux, à mesure que ses capacités évoluent. Les technologies d’IA ont déjà des applications concrètes qui permettent de nombreuses avancées, en particulier dans la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité et en matière de progrès social.
Cependant, ces opportunités s’accompagnent de défis majeurs. Par exemple, l’essor rapide des technologies d’IA génère une consommation énergétique exponentielle et sans précédent. La fabrication des composants nécessaires à son développement, notamment les semi-conducteurs, repose sur l’extraction de minerais critiques dont l’exploitation peut entraîner des conséquences néfastes sur la biodiversité et les communautés locales, et dont nous ne mesurons pas encore tous les effets. L’automatisation, propulsée par l’IA, transforme le monde du travail en rendant certains emplois obsolètes et en accentuant les inégalités, avec certaines fonctions plus fortement atteintes que d’autres sur toute la chaîne de valeur.
L’IA soulève aussi des questions d’éthique et de souveraineté, en raison des biais inhérents à la conception des modèles et à leur utilisation. L’opacité des algorithmes et la concentration des technologies d’IA entre les mains de quelques grandes entreprises posent des défis cruciaux en matière de gouvernance. Assurer un cadre de développement éthique et transparent est donc fondamental pour éviter que l’IA n’accentue des dynamiques d’inégalités et de domination technologiques.
Une approche d’investissement responsable qui prenne en compte les impacts de l’IA est essentielle, tant sur le plan environnemental que sociétal. Soutenir les entreprises qui développent des solutions technologiques alignées avec les Objectifs de Développement Durable (ODD), tout en s’engageant à minimiser leur empreinte environnementale et à promouvoir des pratiques éthiques et sociales de qualité est un pilier de cette stratégie. L’IA ne doit pas seulement être un vecteur de croissance mais doit devenir un outil au service de la société tout en respectant les limites planétaires.
« AI for sustainability »
Mettre l’innovation au service de la transition et de la performance sur le long terme
Le potentiel disruptif de l’IA est immense, mais il porte en lui une dualité fondamentale : pouvoir à la fois participer à l’accélération de la crise climatique et au creusement des inégalités et devenir un levier stratégique pour y répondre. Chez Mirova, nous sommes convaincus que l’avenir de l’économie réside dans la convergence entre la révolution digitale et la transition écologique. L’IA doit être appréhendée à la fois comme une opportunité d’innovation, de performance financière, et un outil au service d’un développement économique durable et inclusif.
Nous intégrons cette double transformation dans l’ensemble de nos décisions d’investissement et nos stratégies d’engagement. Nous identifions et soutenons les entreprises qui développent des solutions d’IA capables de répondre aux défis environnementaux et sociaux, en maximisant leur impact positif, par exemple en améliorant la gestion des réseaux énergétiques, optimisant l’utilisation des ressources naturelles ou renforçant la préservation de la biodiversité.
Un levier stratégique pour une transition durable et inclusive
Une étude de l'Université Columbia recense déjà plus de 300 initiatives d'IA pour le climat et la nature[1]. Elles se concentrent principalement sur la gestion des forêts et des terres, l’agroalimentaire, l'agriculture et l'industrie, avec une concentration géographique aux États-Unis et en Europe. Grâce à sa capacité à traiter et analyser d’immenses volumes de données en temps réel, l’IA permet d’anticiper les risques environnementaux et d’adapter les réponses avec une précision inédite. Des solutions avancées, comme les jumeaux numériques Earth-2 développés par Nvidia, permettent de modéliser l’évolution des conditions météorologiques et environnementales, facilitant ainsi l’adoption de stratégies d’adaptation efficaces. De même, la surveillance des écosystèmes s’appuie de plus en plus sur des outils d’IA, notamment grâce aux satellites exploités par Planet Labs, qui fournissent des images haute résolution de la Terre. Ces données, une fois traitées, permettent de suivre en temps réel l’évolution des habitats naturels et d’alerter sur des menaces telles que la déforestation ou l’érosion des écosystèmes. L’IA représente ainsi une formidable opportunité d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles et réduire l’empreinte écologique des activités humaines.
L’un des défis majeurs de l’électrification repose sur l’intégration des énergies renouvelables aux réseaux électriques, leur intermittence constituant un frein à leur déploiement massif. L’IA facilite l’anticipation des fluctuations de production et l’adaptation de la gestion du réseau, garantissant la stabilité de l’approvisionnement. Par ailleurs, l’IA permet de mieux gérer la distribution énergétique en ajustant en temps réel l’offre et la demande d’électricité, ce qui réduit le gaspillage et améliore la fiabilité des réseaux électriques. Dans le domaine des infrastructures, les jumeaux numériques jouent un rôle central en optimisant la gestion des actifs physiques. Ces technologies facilitent la maintenance des réseaux de transport et des infrastructures hydrauliques en détectant automatiquement les anomalies, réduisant ainsi les coûts d’exploitation et diminuant l’empreinte environnementale. Dans l’industrie de la construction et de l’agriculture, l’IA peut favoriser la conception de bâtiments plus sobres en énergie et l’optimisation des pratiques agricoles pour minimiser l’utilisation des ressources naturelles.
Au-delà de son application aux enjeux environnementaux, l’IA se révèle également cruciale dans la réponse aux défis sociaux. En médecine, elle est utilisée pour accélérer la recherche grâce à la modélisation des protéines et au séquençage du génome ou de l’ADN, facilitant ainsi la mise au point de traitements innovants. Dans l’éducation, elle offre la possibilité de personnaliser l’apprentissage et d’alléger les tâches administratives. Enfin, s’agissant de l’inclusion financière, des plateformes comme Kiva exploitent des algorithmes avancés pour optimiser l’appariement entre prêteurs et emprunteurs, pour accroitre l’accès au microcrédit et ainsi soutenir l’autonomisation économique des populations les plus vulnérables.
Ces innovations représentent une opportunité pour les investisseurs qui cherchent à allier performance financière et impact positif sur la planète et la société.
INTÉGRER L’IA À NOS PROCESSUS DE GESTION, AU PROFIT DE LA PERFORMANCE ET DE L’IMPACT
Mirova travaille déjà à l’intégration de solutions s’appuyant sur l’IA pour maximiser la gestion de ses portefeuilles et son analyse ESG, mais aussi faire avancer la recherche académique au service de l’impact :
- Intégration de l’IA dans nos modèles d’analyse ESG pour les optimiser et les rendre encore plus fiables ;
- Collaboration avec des partenaires qui utilisent déjà l’IA notamment au service de l’analyse des controverses ;
- Soutien aux initiatives de recherche académique visant à mettre l’IA au service d‘enjeux majeurs de la finance durable. Par exemple, l’analyse de la crédibilité des plans de transition environnementale des entreprises et leur compatibilité avec les réglementations ou encore l’étude de la cohérence et exactitude des informations communiquées par les entreprises au regard de mesures d’empreinte physiques peuvent être facilitées grâce à l’IA ;
- Utilisation des technologies d’IA pour optimiser la gestion de nos actifs liés aux forêts, aux énergies renouvelables et aux infrastructures durables. La capacité de l’IA à analyser en profondeur un grand volume de données, souvent hétérogènes et non structurées, nous permettra de maximiser notre capacité à financer des projets qui favorisent la régénération des écosystèmes et la résilience climatique.
L’IA au service d’une gestion d’actifs plus performante
L’IA peut être un outil puissant pour les sociétés de gestion en lui permettant d’affiner les capacités d’analyse, d’améliorer l’identification des opportunités d’investissement responsable et de garantir une gestion efficace et transparente des actifs. Elle est un atout indéniable pour rendre la finance durable plus ambitieuse au-delà de l’optimisation financière et des gains d’efficacité opérationnelle.
La donnée, financière et extra-financière, est au cœur de notre métier. L’IA fournit une puissance incomparable d’analyse de ces informations, la rendant plus rapide et plus précise, en identifiant des tendances que des méthodes traditionnelles ne peuvent capter. Grâce aux modèles d’apprentissage automatique, nous pourrons renforcer la qualité et la pertinence de nos évaluations environnementales et sociales. Ces avancées, couplées à l’expertise des analystes financiers et ESG[2], nous permettent non seulement d’évaluer plus finement la soutenabilité des entreprises dans lesquelles nous investissons, mais aussi d’anticiper les risques et d’identifier les signaux faibles susceptibles d’influencer l’avenir de nos portefeuilles. Elle peut nous permettre aussi d’étendre notre couverture à davantage d’entreprises, de banques, de sociétés d’assurance, sur lesquelles nos gérants investissent ou veulent investir.
L’intégration de l’IA dans la gestion d’actifs apporte des solutions concrètes pour améliorer la transparence et la fiabilité des engagements ESG des entreprises. L’un des défis majeurs que rencontre la finance durable demeure la fiabilité des informations et la lutte contre le greenwashing[3]. En croisant différentes sources de données et en appliquant des algorithmes d’analyse avancés, l’IA peut détecter les incohérences dans les déclarations des entreprises sur leurs émissions carbone ou leurs engagements environnementaux. Elle améliorera la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et jouera un rôle clé dans la détection de controverses ou dans la surveillance des émissions en amont et aval (dites « scope 3 »), qui sont aujourd’hui encore difficiles à quantifier.
Enfin, les applications de l’IA participent à enrichir les outils de mesure des impacts environnementaux. Par exemple, l’association de l’IA avec des images satellites et des données géospatiales en temps réel améliore la surveillance de la déforestation, la cartographie des habitats naturels ou encore évalue plus finement l’empreinte environnementale des infrastructures.
En associant ces avancées technologiques à notre expertise, nous faisons évoluer notre approche vers une gestion d’actifs à la fois plus performante et plus engagée.
L’IA doit être appréhendée à la fois comme une opportunité d’innovation, de performance financière, et un outil au service d’un développement économique durable et inclusif.
Des opportunités attractives dans toutes les classes d’actifs
L’IA redessine déjà les industries de la transition, ouvrant des perspectives d’investissement plus larges. Nous intégrons les risques et opportunités liées à l’IA dans le dialogue avec les entreprises en portefeuilles pour les accompagner à renforcer leur impact positif. Ces opportunités s’étendent à l’ensemble de nos classes d’actifs sur les marchés cotés et privés.
Sur les marchés cotés, l’IA révolutionne notamment la production énergétique, la santé et l’agriculture. Ainsi, dans le secteur de l’énergie, Vestas a par exemple déposé plus d’une dizaine de brevets sur des méthodes utilisant des modèles d’apprentissage avancés pour optimiser la production d’énergie éolienne et améliorer la maintenance prédictive de ses installations. En ajustant la gestion des turbines en fonction des conditions météorologiques et en identifiant les besoins en maintenance avant qu’une panne ne survienne, ces technologies maximisent la production d’énergie propre et prolongent la durée de vie des infrastructures. Dans le domaine de la santé, Thermo Fisher exploite cette technologie pour automatiser et affiner l’analyse d’images médicales, améliorant ainsi la précision du diagnostic in vitro et des outils d’imagerie. Enfin, dans l’agriculture, Trimble propose des outils d’analyse en temps réel permettant d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles et de réduire l’impact environnemental.
En ce qui concerne les actifs privés, la part des opportunités d’investissement intégrant l’IA comme levier d’innovation connait une progression spectaculaire au sein du pipeline de notre stratégie de private equity à impact, passant de 4 % en 2022 à 17 % en 2024[4]. Cette évolution témoigne de la montée en puissance de l’IA comme moteur de transformation durable.
À titre d’exemple, l’aéronautique bénéficie de cette révolution avec des entreprises telles qu'OpenAirlines, qui utilisent l'IA pour coupler les informations de boîtes noires d'avion et les données réelles sur les conditions rencontrées durant le vol. L’algorithme évalue l'efficience de consommation du carburant et fournit des recommandations lors de prochains vols. Dans le secteur de l’efficacité énergétique, Gridbeyond offre des solutions intelligentes permettant aux entreprises d’anticiper la demande en électricité et d’ajuster au plus juste leur consommation pour réduire leur empreinte carbone et générer des gains d’efficacité opérationnelle.
« Sustainable AI »
Pour une innovation éthique, transparente et durable
Si l’IA présente un potentiel considérable pour accompagner la transition écologique, elle pose également des défis qu’on ne peut ignorer. Son développement doit être encadré pour éviter qu’elle ne devienne un facteur aggravant des crises environnementales et sociales. Le déploiement de l’IA ne peut que soulever des questions majeures en matière d’éthique, de transparence et de gouvernance. Son impact sur les modèles de travail, la gestion des données et les biais algorithmiques nécessitent un cadre rigoureux pour garantir qu’elle contribue à un progrès durable et inclusif. Nous pensons que le développement de l’IA doit s’accompagner d’une réflexion approfondie sur les nouveaux risques qu’elle engendre.
Des risques environnementaux significatifs
L’essor de l’IA a un impact significatif sur l’empreinte carbone des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les estimations de la part du secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) varient dans la littérature, allant de 1,5 à 4 %[5]. La consommation d’énergie des centres de données, qui hébergent et entraînent les modèles d’IA, compte parmi l’un des principaux facteurs de l’augmentation constante observée. Ces infrastructures représentaient entre 1 et 1,3 % de la demande mondiale d’électricité en 2022, une part qui pourrait doubler d’ici 2026 sous l’effet de l’essor des modèles d’IA générative[6]. À l’échelle globale, les centres de données ne représenteraient cependant qu’environ 12 % de l’augmentation de la demande en électricité d’ici 20306. Il est par ailleurs difficile de trouver des données fiables, du fait d’un manque de transparence de l’entrainement et l’inférence de modèles d’IA.
La pression des centres de données sur les réseaux électriques constitue un défi croissant, particulièrement dans les pays où se concentre la demande. Aux États-Unis, ils absorbent déjà près de 4 % de l’électricité nationale, un chiffre qui pourrait atteindre 9 % en une décennie, nécessitant la construction de 50 GW de nouvelles capacités[7]. En Irlande, leur part atteint 21 % et fragilise les équilibres énergétiques7. Si chaque nouvelle génération de puces électroniques nécessaires au calcul d’IA se fait plus économe en énergie, elle s’accompagne de modèles toujours plus complexes, dont la taille croît de 3,5 fois par an7. Face à cette demande énergétique croissante, les énergies renouvelables pourraient couvrir environ la moitié des besoins d’électricité supplémentaire aux États-Unis, sous forme de PPA[8] entre les entreprises technologiques et les producteurs d’électricité. Pour le reste, les acteurs technologiques misent beaucoup sur le nucléaire : un tiers des centrales nucléaires américaines seraient déjà en discussion pour signer des PPA7. À quelques exceptions près, les investissements directs des acteurs de la tech dans l’énergie nucléaire demeurent néanmoins limités, tant les incertitudes demeurent sur le passage à l’échelle de la nouvelle génération de nucléaire. On constate ainsi à court terme une recrudescence du recours au gaz de schiste, avec des fermetures de centrales retardées et des investissements dans de nouvelles capacités. Il est donc capital de repenser l’usage de l’IA en favorisant des modèles plus frugaux et, en particulier, plus petits et spécialisés, afin de limiter leur impact tout en garantissant un équilibre entre innovation et soutenabilité énergétique.
L’impact environnemental de l’IA ne se limite pas à sa consommation d’électricité. La fabrication des semi-conducteurs et des composants électroniques nécessaires aux infrastructures numériques repose sur des minerais critiques dont l’extraction génère des dommages considérables pour la biodiversité. Par ailleurs, les centres de données sont particulièrement gourmands en eau pour le refroidissement de leurs serveurs. On estime que d’ici 2027, leur consommation d’eau pourrait atteindre 6,6 milliards de mètres cubes, soit près de la moitié de la consommation annuelle du Royaume-Uni[9]. La pression exercée sur les ressources hydriques apparait d’autant plus préoccupante que 32 % des centres de données aux États-Unis se situent dans des zones de stress hydrique élevé[10].
Des risques éthiques et sociaux non négligeables
Au-delà des implications environnementales, des défis en matière d’éthique et de transparence émergent avec l’adoption croissante des solutions d’IA. L’un des risques majeurs réside dans les biais algorithmiques, qui peuvent conduire à des discriminations en fonction du sexe, de l’origine ou du statut socio-économique.
L’IA représente également un défi pour la protection des données personnelles. L’exploitation massive d’informations sensibles et l’opacité des modèles rendent difficile le contrôle de l’usage des données. Des préoccupations émergent notamment autour de la propagation de la désinformation et de l’usage des deepfake[11], qui pourraient fragiliser les processus démocratiques et amplifier les inégalités sociales.
Par ailleurs, l’essor de l’IA soulève des risques sociaux majeurs. En amont, les conditions de travail des personnes impliquées dans l'entraînement des modèles, notamment dans les pays émergents, suscitent des préoccupations en matière de droits humains. En aval, l’automatisation accélérée menace l’emploi : 300 millions de postes pourraient se voir supprimés ou se dévaloriser dans les prochaines années[12].
Un cadre de gouvernance robuste est à ce titre indispensable pour limiter ces risques à la fois éthiques et sociaux. Les entreprises technologiques doivent renforcer la transparence de leurs modèles en publiant des rapports qui détaillent leurs méthodologies et leurs mécanismes de contrôle des biais. Elles doivent également mettre en place des structures de gouvernance dédiées à l’éthique de l’IA et garantir que leurs pratiques respectent des standards stricts en matière de confidentialité, de protection des données et de mitigation des risques sociaux.
Activer tous les leviers d’engagement au service d’une IA éthique et transparente
Un engagement actionnarial actif en faveur de l’innovation responsable
Nous considérons qu’un dialogue actif avec les entreprises technologiques est essentiel pour que l’innovation serve réellement les objectifs de durabilité. L’un des piliers de notre stratégie d’engagement repose sur la réduction de l’empreinte carbone des infrastructures d’IA. Nous avons identifié trois axes prioritaires : inciter les entreprises à respecter leurs engagements en matière d’énergie verte, encourager le financement des réseaux électriques pour accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables, et promouvoir l’adoption de centres de données plus efficaces et moins consommateurs de ressources naturelles.
Tout d’abord, au regard de la consommation énergétique des centres de données, nous appelons les acteurs technologiques à s’engager dans un approvisionnement massif en électricité verte. En plus de leur caractère décarboné, les énergies renouvelables sont bien souvent moins chères et plus rapides à déployer que les centrales à gaz et nucléaires. La signature de PPA doit garantir que leurs besoins énergétiques soient couverts à toute heure et sur l’ensemble de l’année, sans accroître la pression sur les réseaux électriques. Les centres de données à grande échelle, dits hyperscalers, doivent aussi participer activement au financement des infrastructures électriques afin d’obtenir une meilleure intégration des énergies bas-carbone et d’éviter un report vers des sources fossiles.
Par ailleurs, l’implantation et l’optimisation des centres de données nécessitent d’être repensées pour limiter leur impact environnemental. La construction de nouvelles infrastructures ne peut être une réponse systématique à l’essor de l’IA. Il va devenir crucial d’explorer la modernisation des infrastructures et bâtiments existants et de privilégier des localisations qui réduisent les conflits fonciers énergétiques et hydriques, en s’appuyant sur des réseaux stables et des sources d’énergie renouvelable accessibles. L’amélioration de leur efficacité énergétique et la réduction de leur consommation en eau constituent également une priorité : la gestion du Power Usage Effectiveness (PUE)[13] et de la Water Usage Effectiveness (WUE)[14] doit se placer au cœur des stratégies des entreprises du secteur. Des technologies de refroidissement plus économes en eau, des logiciels d’optimisation énergétique et l’utilisation de modèles d’IA plus légers peuvent contribuer à relever ces défis.
De manière générale, l’objectif est de favoriser une IA plus frugale travers des approches plus légères et plus ciblées pour un accès à des données et ressources de calcul adaptées aux besoins spécifiques à.
Nous accompagnons ces transformations en incitant les entreprises technologiques à adopter des pratiques plus durables et en intégrant ces critères dans nos décisions d’investissement. Nous sommes convaincus que la transition vers une IA responsable ne pourra advenir sans une mobilisation forte des investisseurs, des entreprises et des régulateurs pour concilier innovation et durabilité.
Un engagement collectif envers l’éthique et la transparence
Nous nous engageons à contribuer activement aux initiatives visant à favoriser un développement de ce marché aligné avec des principes de responsabilité et de transparence. Cet engagement repose sur deux piliers fondamentaux. D’une part, nous menons un dialogue constant avec les entreprises technologiques et les régulateurs pour favoriser leur développement dans le respect des droits fondamentaux et des impératifs environnementaux. D’autre part, nous sommes attachés à faire preuve de la transparence sur notre propre usage de l’IA, en y intégrant des principes d’éthique et en évaluant son impact sur nos métiers et processus.
Un pilier majeur de la stratégie d’engagement de Mirova repose sur la mise en place de mécanismes de transparence et de gouvernance pour encadrer l’usage de l’IA. Notre approche se fonde sur une combinaison d’initiatives individuelles et collaboratives. Nous menons un dialogue direct avec les entreprises de la chaîne de valeur de l’IA, en les incitant à adopter des pratiques plus responsables et à intégrer des mécanismes de transparence au sein de leur gouvernance. Ce dialogue revêt désormais une importance accrue en raison des positions récentes adoptées par certaines entreprises du secteur qui ont assoupli leurs politiques de modération ou d'inclusion.
En 2024, nous avons engagé des discussions avec des acteurs majeurs tels que Microsoft sur l’éthique de l’IA et son impact environnemental. Nous participons également à des initiatives collectives, notamment à travers la Coalition pour l’Impact Collectif de l’Alliance Mondiale de Benchmarking pour l’IA Éthique, qui vise à renforcer la transparence des entreprises technologiques sur l’usage de l’IA et l’intégration de principes responsables dans leur développement. Nous avons également rejoint récemment la Coalition pour une IA durable dont l’objectif est de contribuer positivement au développement et à l’usage de l’IA au service des ODD, notamment sur les volets climatique et environnemental.
En tant que co-sponsor du groupe de travail “IA et Finance” du réseau international One Planet Sovereign Wealth Funds (OPSWF), qui regroupe des gestionnaires d’actifs et les plus grands fonds souverains de la planète, nous contribuons à définir des principes et des recommandations pour une intégration de l’IA alignée avec les objectifs de transition écologique et de finance durable. Cette collaboration nous permet d’échanger avec les acteurs majeurs de l’investissement sur les meilleures pratiques pour encadrer l’usage de l’IA dans la finance et anticiper les risques émergents.
Notre participation au Sommet pour l'action sur l'Intelligence Artificielle les 10 et 11 février 2025, qui réunit décideurs, experts, entreprises et investisseurs engagés dans la régulation et l’orientation stratégique de l’IA, s’inscrit dans notre volonté d’apporter une perspective d’investisseur responsable pour façonner un cadre ambitieux et durable, en collaboration avec toutes les parties prenantes.
Un soutien actif à la recherche académique
Pour accélérer notre compréhension des transformations profondes engendrées par l’IA, le soutien aux initiatives de recherche académique constitue un autre levier important. En 2024, Mirova a créé le Mirova Research Center afin de soutenir l’émergence de nouveaux champs de recherche au service de la finance durable.
Nous avons désormais structuré le Mirova Research Center autour de trois piliers fondamentaux : l'impact de l'IA et des technologies, le développement d'indicateurs au service d'une transition juste, et l'analyse de l'additionnalité des investisseurs.
L’enjeu réglementaire au cœur des préoccupations
Le cadre réglementaire devrait jouer un rôle déterminant dans la structuration de ces bonnes pratiques. L’Union européenne s’est positionnée en tant que leader en la matière avec l’adoption de l’AI Act.
Cette réglementation a pour ambition de garantir les droits fondamentaux des citoyens européens tout en encourageant l’innovation. Elle impose des obligations renforcées en matière de gestion des risques, de transparence et de gouvernance des modèles d’IA. L’enjeu consistera à faire preuve d’agilité face aux évolutions rapides des technologies.
Nous collaborons avec les décideurs pour faire évoluer les cadres réglementaires et renforcer la responsabilité des entreprises du secteur.
L’IA : un enjeu stratégique pour Mirova
Conscients du potentiel disruptif de l'IA dans notre secteur, nous avons établi une gouvernance dédiée et une feuille de route opérationnelle pour exploiter pleinement cette technologie chez Mirova tout en gérant les risques associés. Cette approche nous permettra de guider la transformation de nos équipes et d'optimiser notre capacité à servir les intérêts de nos clients.
Une gouvernance structurée
La création d’une gouvernance dédiée vise à centraliser et garantir la cohérence des initiatives, leur priorisation et leur coordination. Elle permettra de fédérer les équipes autour d’une vision commune. Cette approche est complétée par des échanges incluant l'ensemble des collaborateurs et favorisant l’émergence des bonnes pratiques issues du terrain et des jeunes générations, particulièrement agiles dans l’adoption des nouveaux usages de l’IA. Valoriser cette expertise collective et encourager le partage des connaissances constituent des leviers essentiels pour réussir cette transition.
Un plan de transformation ambitieux
Notre plan de transformation repose sur une approche ciblée autour de trois cas d’usage, où l’IA est utilisée pour renforcer l’expertise et accroître la capacité d’analyse, à travers le déploiement de ces cas d’usages en partenariat avec plusieurs startups :
- L’automatisation des analyses réalisées dans le cadre des comités d’investissement pour les activités de actifs réels afin de réallouer le temps des équipes sur des analyses plus qualitatives et l’élargissement des cibles d'investissements ESG.
- L’automatisation des analyses de recherche ESG pour concentrer les efforts des équipes sur la stratégie d’engagement actionnarial.
- L’automatisation des processus d’appels d'offre, afin d’accélérer le traitement des demandes, pour mieux accompagner nos clients et renforcer la proposition de valeur.
Maîtriser les risques
La transition vers des outils d’automatisation implique un accompagnement renforcé des collaborateurs dans l’évolution de leurs compétences et de leurs missions. Nous travaillons à la prochaine intégration d'un expert « IA et travail » au sein de notre comité de mission pour anticiper notamment les impacts humains de ces technologies.
En tant que société à mission[15], l’exemplarité est une exigence : les standards appliqués aux entreprises financées doivent également guider nos choix et pratiques en interne. Nous imposons dans la sélection des fournisseurs et, en particulier, des startups avec lesquels nous travaillons sur ces sujets, des critères élevés en termes d’éthique et d’impact environnemental.
Enfin, la maîtrise des données constitue une priorité absolue. Par exemple, nous privilégions les clouds souverains et à défaut, nous imposons les plus hauts standards de cybersécurité à l'ensemble de nos partenaires. Chaque projet fait l’objet d’une évaluation approfondie périodique pour garantir une gestion optimale des risques et une parfaite étanchéité des données.
Faire de l’IA une force de transformation pour un avenir durable
L’intelligence artificielle représente une importante force de transformation pour notre économie et notre société. Son développement fulgurant ouvre des perspectives immenses, mais pose également des défis inédits.
L’IA peut soit devenir un accélérateur de la crise environnementale et sociale, soit une réponse opportune et inédite à la transition vers une économie plus résiliente, plus inclusive et alignée sur les impératifs de durabilité. Nous avons fait le choix d’en faire un moteur de solutions et non un facteur d’aggravation des déséquilibres existants.
Notre engagement repose d’abord sur la conviction que la révolution numérique et la transition écologique peuvent converger. Au-delà de son rôle dans la transition, l’IA est un accélérateur d’impact dans l’ensemble des pans de l’économie, y compris dans la gestion d’actifs. Nous avons aussi la responsabilité de promouvoir une IA éthique et transparente. Le développement rapide de ces technologies doit impérativement s’accompagner d’une gouvernance rigoureuse.
Alors que l’IA continue de se développer à un rythme exponentiel, les risques qu’elle soulève vont s’intensifier. Il est impératif d’anticiper ces enjeux dès aujourd’hui et d’adopter une posture proactive pour encadrer l’évolution de cette technologie. Ceux qui sauront intégrer l’IA de manière responsable et stratégique seront les mieux positionnés pour en tirer parti tout en limitant ses externalités négatives.
Nous encourageons toutes nos parties prenantes à s’inscrire dans cette trajectoire. Chez Mirova, nous ne considérons pas l’IA comme une simple évolution technologique. Nous voyons en elle un outil de transformation dont nous devons maîtriser les impacts et orienter les usages vers un modèle plus soutenable. Nous voulons façonner un avenir où l’IA est au service du bien commun et de la durabilité. Cela implique une responsabilité partagée entre investisseurs, entreprises et régulateurs, pour garantir que cette révolution numérique soit une opportunité, et non une menace, pour notre planète et nos sociétés.